Pascale Ruffel
Pascale Ruffel est psychologue clinicienne et travaille depuis plusieurs années dans un centre d’hébergement et d’accompagnement pour réfugiés.
Chez joca seria
Si tu croîs, Maïs
Pascale Ruffel
Alma vit aux pieds du volcan Cerro Calcinado au Guatemala. La fin est proche, elle le sent. Alors, elle pense au fils qu’elle a mis au monde bien des saisons plus tôt et qu’elle n’a pas vu grandir. Sans papier et sans crayon, elle lui écrit de ses yeux qui se posent sur le gris du ciel, sur le drap bleu du lac ou sur les planches centenaires de la cabane de Rosita. Par delà la profondeur de l’océan et au-delà des mots perdus, il l’entend.
« Si tu croîs Maïs, si tu pares la tombe de tendres épis, le vent complice apportera des graines de coquelicot. Car le vent souffle les rêves. Les fleurs pourpres, éclatantes pousseront libres et légères. Le jaune doré se mêlera au rouge radieux, ils inonderont le sol de leurs reflets. Tu seras honoré, Maïs. À toi, je peux faire cette demande car toi et moi, tu le sais bien, nous parlons la même langue. »
Pascale Ruffel est l’autrice d’un premier ouvrage paru chez joca seria en 2017 : Les Ancêtres ne prennent pas l’avion puis, en 2019, de Touché, coulé chez le même éditeur.
Pascale Ruffel
Alma vit aux pieds du volcan Cerro Calcinado au Guatemala. La fin est proche, elle le sent. Alors, elle pense au fils qu’elle a mis au monde bien des saisons plus tôt et qu’elle n’a pas vu grandir. Sans papier et sans crayon, elle lui écrit de ses yeux qui se posent sur le gris du ciel, sur le drap bleu du lac ou sur les planches centenaires de la cabane de Rosita. Par delà la profondeur de l’océan et au-delà des mots perdus, il l’entend.
« Si tu croîs Maïs, si tu pares la tombe de tendres épis, le vent complice apportera des graines de coquelicot. Car le vent souffle les rêves. Les fleurs pourpres, éclatantes pousseront libres et légères. Le jaune doré se mêlera au rouge radieux, ils inonderont le sol de leurs reflets. Tu seras honoré, Maïs. À toi, je peux faire cette demande car toi et moi, tu le sais bien, nous parlons la même langue. »
Pascale Ruffel est l’autrice d’un premier ouvrage paru chez joca seria en 2017 : Les Ancêtres ne prennent pas l’avion puis, en 2019, de Touché, coulé chez le même éditeur.
Ce que les réfugiés nous disent
« Les réfugiés que je rencontre ont imprimé de leurs récits, de leur visage et de leurs mots ma cartographie du monde. J’ai renouvelé mes représentations liées aux mots Caucase et Caucasiens avec l’histoire des Tchétchènes et des Ingouches, luttant pour ne pas disparaître, engloutis par l’ogre russe. J’ai fait se rencontrer les images de chevauchées exaltées dans la steppe mongole avec un peuple à la langue étrangement chuintante qui tente de préserver une culture millénaire et menacée. J’ai revisité les paysages infinis du Sahara, la campagne aride de l’Irak, la ville surpeuplée et dangereuse de Kinshasa. J’ai goûté le saka-saka congolais, mangé des achaks afghans, dégusté du kootu tamoul. J’ai prononcé des mots arabes, tenté d’apprendre à dire bonjour en Toubou ou en Araméen. J’ai entendu parler des prisons d’Érythrée, des trottoirs de Paris, des camps de réfugiés du Liban. J’ai entendu l’évocation nostalgique des vendanges en Géorgie, les anecdotes cocasses d’une babouchka rebelle, le souvenir angoissant de l’imposition de la burqa. »
Il se pourrait bien qu’en entendant les réfugiés, nous redécouvrions la singularité et la fragilité de la condition humaine, mais aussi la joie profonde que confèrent les rencontres les plus inattendues.
L’humanisation par le langage s’en trouve régénérée, vivifiée pour redonner à la parole sa puissance évocatrice et sa dimension poétique.
« Les réfugiés que je rencontre ont imprimé de leurs récits, de leur visage et de leurs mots ma cartographie du monde. J’ai renouvelé mes représentations liées aux mots Caucase et Caucasiens avec l’histoire des Tchétchènes et des Ingouches, luttant pour ne pas disparaître, engloutis par l’ogre russe. J’ai fait se rencontrer les images de chevauchées exaltées dans la steppe mongole avec un peuple à la langue étrangement chuintante qui tente de préserver une culture millénaire et menacée. J’ai revisité les paysages infinis du Sahara, la campagne aride de l’Irak, la ville surpeuplée et dangereuse de Kinshasa. J’ai goûté le saka-saka congolais, mangé des achaks afghans, dégusté du kootu tamoul. J’ai prononcé des mots arabes, tenté d’apprendre à dire bonjour en Toubou ou en Araméen. J’ai entendu parler des prisons d’Érythrée, des trottoirs de Paris, des camps de réfugiés du Liban. J’ai entendu l’évocation nostalgique des vendanges en Géorgie, les anecdotes cocasses d’une babouchka rebelle, le souvenir angoissant de l’imposition de la burqa. »
Il se pourrait bien qu’en entendant les réfugiés, nous redécouvrions la singularité et la fragilité de la condition humaine, mais aussi la joie profonde que confèrent les rencontres les plus inattendues.
L’humanisation par le langage s’en trouve régénérée, vivifiée pour redonner à la parole sa puissance évocatrice et sa dimension poétique.
« Aussi, à l’écho des noyades, je me sens redevenir une enfant impuissante, perdue parmi tant d’autres. Nos larmes salées viennent gonfler les océans. Je perds pied, m’agite effrayée et cherche à m’amarrer. Je bois la tasse, m’essouffle et ne peux plus parler. Un goût acre et salé dans la gorge. En moi, il y a de l’eau de mer saumâtre. Je cherche un navire secourable qui me relie aux autres hommes, je cherche une bouée, une balise ancestrale à laquelle m’accrocher. Je cherche à grand-peine, des mots, des récits qui domptent et transforment la sauvagerie du monde, relancent la liberté et la pensée.
Les enfants du naufrage sont si nombreux. Naufrage en mer pour les uns, naufrage du langage pour tous. La traversée s’étire, s’installe, envahit. À quel moment les rives du continent ont-elles disparu ? À quel moment, a-t-il été possible de lever l’ancre de notre humanité ?
La disparition et le silence infiltrent nos mémoires. Ils encombrent comme un héritage de pierre. Pourtant, nous avons tous eu affaire à l’audace juvénile et l’espoir fou, la crainte de la perdition et de la noyade, aux mots coincés au fond de la gorge et au silence alentour. Chaque silence en rejoint d’autres, chaque effacement recouvre les disparitions antérieures et prépare les suivantes. » P. R.
Les enfants du naufrage sont si nombreux. Naufrage en mer pour les uns, naufrage du langage pour tous. La traversée s’étire, s’installe, envahit. À quel moment les rives du continent ont-elles disparu ? À quel moment, a-t-il été possible de lever l’ancre de notre humanité ?
La disparition et le silence infiltrent nos mémoires. Ils encombrent comme un héritage de pierre. Pourtant, nous avons tous eu affaire à l’audace juvénile et l’espoir fou, la crainte de la perdition et de la noyade, aux mots coincés au fond de la gorge et au silence alentour. Chaque silence en rejoint d’autres, chaque effacement recouvre les disparitions antérieures et prépare les suivantes. » P. R.